Le test de prédisposition génétique
En France, environ 1500 femmes "à risque" pratiquent le test de prédisposition génétique au cancer du sein dans l'un des 40 centres de l'hexagone. Les docteurs Chompret (IGR) et Lyonnet (Curie) répondent à nos questions sur le test.
La prédisposition génétique au cancer du sein
Depuis une quinzaine d'années, la recherche sur le génôme humain a permis de mettre en évidence des gènes de prédisposition au cancer du sein. Des tests de mise en évidence de ce risque sont maintenant disponibles dans 40 centres en France. En quoi consiste le test ? Que met-il en évidence ?Les docteurs Agnès Chompret (IGR) et Dominique Stoppa Lyonnet (Institut Curie) ont bien voulu se prêter au jeu de l'interview et répondre aux questions que chacune d'entre nous se pose.
Une femme dont le résultat est négatif a souvent du mal à réaliser qu'elle n'a pas plus de risque que "madame tout le monde". Dans mon expérience, pendant au moins un à deux ans, ces femmes continuent le rythme de surveillance qu'elles avaient adopté avant qu'elles ne connaissent leur statut génétique et qui était dicté par leur probabilité de 50% d'être "porteuse" d'une altération génétique.
Par ailleurs, il est primordial de bien leur expliquer qu'elles doivent suivre les règles de dépistage de la population générale.
Agnès Chompret (IGR)
Aujourd'hui on ne peut pas conseiller à toutes les femmes de pratiquer ce test. Car les résultats peuvent être négatifs lorsqu'on fait une première recherche dans la famille et par conséquent on ne rassure pas. Le jour où le résultat négatif sera toujours significatif et qu'on pourra rassurer, et où l'on pourra vraiment prendre en charge de façon très ciblée les personnes à risque, à ce moment là on pourra élargir.
Dominique Stoppa Lyonnet (Institut Curie)
Agnès Chompret (IGR)
1. Pouvez-vous vous présenter votre parcours médical ?2. Pouvez-nous présenter service génétique de l'Institut Gustave Roussy ?
3. Quelle est la place de la génétique dans la recherche contre le cancer du sein ?
4. En quoi consiste exactement un test génétique de dépistage ?
5. Quel est le degré de fiabilité de ce test ?
6. Si ce test se révèle positif pour moi, cela veut-il dire que je suis sûre d'avoir un cancer du sein ?
7. Si ce test se révèle positif, quelles précautions dois-je prendre au niveau de la surveillance et de la prévention ?
8. Combien de femmes effectuent ce test en France, par an ?
9. Quel est l'état d'esprit de ces femmes en général ?
10. Questions pratiques : combien le test coûte-t-il ? Comment se déroule le test ?
11. Qui doit pratiquer le test ?
12. Conseilleriez-vous à toutes les femmes de pratiquer ce test ?
13. Question sur le brevet Myriad
Docteur Chompret, pouvez-vous présenter votre fonction et votre parcours médical ?
Je suis médecin généticien, responsable de la consultation d'oncogénétique généraliste (toute prédispositon au cancer mais à prédominance sénologie/gynécologie) à l'Institut Gustave Roussy (IGR).Depuis les années 75, médecin dans une unité INSERM d'épidémiologie génétique (discipline s'attachant à faire la part de "l'inné" et de "l'acquis" à l'origine des maladies mutifactorielles), je m'intéresse au cancer dès les années 80, dans le département de Pédiatrie puis de Médecine de l'IGR.
Grâce à des études spécifiques (Certificats de génétique, d'épidémiologie, d'épidémiologie génétique, de statistique, diplôme universitaire de cancérologie clinique, de formation des Accompagnants des sujets atteints de maladie génétique et de leur famille) et à mon expérience en la matière, j'ai pu obtenir la compétence en "génétique médicale".
Docteur, pouvez-nous présenter en quelques mots le service génétique de l'Institut Gustave Roussy ?
Les consultations d'oncogénétique ont officiellement ouvert à l'IGR en 1991. Elles sont organisées autour des spécialités impliquées par la prédisposition héréditaire au cancer : sein/ovaire, gastroentérologie, dermatologie, cancers cutanés et cancers neuroendocrines. Elles ont pour but de déterminer si l'hérédité a un rôle à jouer dans certaines familles. Si oui, il faut reconnaître les personnes de cette famille à haut risque de développer un cancer, afin de les prendre en charge tant sur le plan prévention que surveillance, prise en charge relayée par les spécialistes d'organe.En aval des consultations, un laboratoire de biologie moléculaire assure la recherche d'altérations des gènes impliqués dans un certain nombre de cancers : RET et le cancer médullaire de la thyroïde, BRCA1 et BRCA2 et les cancers du sein/ovaire, CDKN2A et CDK4 et le mélanome. Pour les autres gènes prédisposant au cancer, un réseau de laboratoires français permet une collaboration efficace.
Une expérience originale à l'IGR est la consultation spécifiquement dédiée à la surveillance des femmes à risque de développer un cancer du sein et/ou de l'ovaire assurée une fois par semaine par un médecin oncologue (le Dr Delaloge) qui permet le regroupement des examens cliniques, sanguins et d'imagerie selon les cas.
A noter que la structure de génétique de l'IGR a été déclarée au Ministère de la Santé.
Quelle est la place de la génétique dans la recherche contre le cancer et particulièrement le cancer du sein ?
Le cancer est une maladie des gènes qui, s'ils sont altérés, dérégulent le fonctionnement des cellules et permettent leur transformation en cellules malignes. Dans la plupart des cas, ceci ne survient que dans quelques cellules du corps, comme celles du sein par exemple et les altérations ne sont pas transmissibles à la génération suivante car elles ne surviennent pas dans les cellules sexuelles (spermatozoïde ou ovule).Aujourd'hui, l'intérêt de la recherche génétique contre le cancer est de pouvoir identifier les individus "à risque" de développer un cancer afin de le prévenir ou d'intervenir très précocément dans le développement de ce cancer. Mais surtout, à partir de ces cas "génétiques" de comprendre les mécanismes premiers qui initient la cascade d'événements qui mène au cancer, afin de l'enrayer le plus tôt possible. Puis, caractériser les tumeurs par leur "carte d'identité génétique", c'est-à-dire, reconnaître les gènes qui sont altérés et qui peuvent différer d'une tumeur du sein à l'autre, permettra de cibler les traitements.
En quoi consiste exactement un test génétique de dépistage ? Qu'est-ce que cela permet de déceler ?
Un test génétique est une analyse moléculaire des gènes dont l'altération est transmissible de génération en génération et à l'origine de cancer. Chaque famille a son anomalie "propre" (sauf dans certaines populations connues) et qui oblige à étudier l'intégralité des gènes pour chaque famille.Quel est le degré de fiabilité de ce test ? Quelle est la position de la communauté scientifique ?
Lors d'un test de routine, pour la première recherche de l'anomalie dans une famille plusieurs techniques sont utilisées par les différents laboratoires. Aucune d'entre elles, prise individuellement, n'est performante à 100%. Certaines ne sont utilisables que dans un cadre de recherche pour mettre en évidence des anomalies complexes du gène. Aujourd'hui, on peut être sûr que l'on "passe à côté" d'un certain nombre d'anomalies qui ne sont pas individualisables par les techniques usuelles. La recherche continue dans ce domaine.Si ce test se révèle positif pour moi, cela veut-il dire que je suis sûre d'avoir un cancer du sein ?
Non, cela signifie que j'ai un risque beaucoup plus élevé que celui de la population générale de développer un cancer mais ce risque n'est pas de 100% (il est au maximum de 80% si j'atteins l'âge de 80 ans !)Si ce test se révèle positif, quelles précautions dois-je prendre au niveau de la surveillance et de la prévention ?
Des recommandations ont été écrites par un groupe d'experts en 1998 et publiées dans "Risques héréditaires des cancers du sein et de l'ovaire. Quelle prise en charge" Editions INSERM.D'une façon générale, il est conseillé une surveillance clinique des seins 2 à 3 fois par an dès l'âge de 25 ans et une mammographie annuelle dès l'âge de 30 ans.
S'il existe un risque de cancer de l'ovaire, surveillance clinique gynécologique 2 fois par an et échographie endovaginale (couplé à un Doppler couleur) une fois par an. Le dosage des marqueurs tumoraux n'est pas recommandé en raison de leur manque de fiabilité.
La chirurgie prohylactique des seins n'est pas une pratique commune en France et l'ovariectomie prophylactique est discutée au cas par cas.
Combien de femmes effectuent ce test en France, par an ?
Il y a environ 1500 demandes de tests BRCA en France actuellement (première recherche dans une famille) et environ 500 apparentés demandent un test. Ces chiffres pourraient être en augmentation dans les années à venir.Quel est l'état d'esprit de ces femmes en général ? On peut imaginer qu'une certaine partie d'entre elles fait le test mais au fond ne veulent pas savoir… Comment gérez-vous le fait qu'une fois le test pratiqué, et s'il est positif, la patiente doive vivre avec cette épée de Damoclès ? Inversement, n'avez-vous pas peur que les femmes qui pratiquent ce test soient plus négligentes avec les gestes de prévention si le test se révèle négatif ?
On ne voit en consultation d'oncogénétique que les femmes qui veulent faire le test. On peut avoir une idée des motivations de celles qui refusent par l'intermédiaire de leurs apparentés qui demandent à être testés. Effectivement, certaines femmes ne savent pas trop quoi faire de la connaissance de leur statut génétique. C'est à nous de les aider par une surveillance adéquate.Une femme dont le résultat est négatif a souvent du mal à réaliser qu'elle n'a pas plus de risque que "madame tout le monde". Dans mon expérience, pendant au moins un à deux ans, ces femmes continuent le rythme de surveillance qu'elles avaient adopté avant qu'elles ne connaissent leur statut génétique et qui était dicté par leur probabilité de 50% d'être "porteuse" d'une altération génétique. Par ailleurs, il est primordial de bien leur expliquer qu'elles doivent suivre les règles de dépistage de la population générale.
Quelques questions pratiques : combien le test coûte-t-il ? Comment se déroule le test ?
La consultation d'oncogénétique est ouverte à toute personne qui désire savoir si elle est à risque de développer un cancer en raison de son histoire personnelle et/ou familiale.La première consultation consiste à dresser l'arbre généalogique de la famille afin d'estimer la probabilité de la transmission héréditaire d'un risque de cancer. Si la probabilité est forte, il est possible de proposer un test génétique. Chaque famille ayant son altération propre, et pour avoir le maximum de chance de la caractériser, l'analyse doit débuter chez une personne atteinte de cancer (à partir d'une simple prise de sang). On appelle cette personne, le "cas index" Cette première recherche est longue, difficile et demande des délais de plusieurs mois, voire années, et n'est pas toujours concluante.
Un test "positif" signifie que l'anomalie trouvée est responsable de la survenue du cancer.
Un test "négatif" ne signifie pas qu'il n'existe pas de prédisposition au cancer. Le gène en cause peut ne pas être encore connu, il faut attendre des avancées scientifiques.
Parfois, le résultat est dit "indéterminé" car on ne peut pas conclure que l'anomalie trouvée a une conséquence néfaste sur la protéine codée par ce gène défectueux en apparence et qu'elle est donc responsable de la survenue du cancer.
Les résultats du test ne sont définitivement transmis à la personne concernée (et exclusivement à elle, en aucun cas à ses apparentés) qu'après vérification sur un deuxième prélèvement sanguin et lors d'une consultation médicale personnalisée. C'est au "cas index" d'informer ses apparentés de la caractérisation de l'altération génétique et donc de la disponibilité d'un test familial.
Si le test est "positif" et l'anomalie caractérisée dans la famille, il est alors possible de connaître les personnes à risque et celles qui ne le sont pas et ce, d'une manière fiable. Ces apparentés doivent à leur tour, demander une consultation si elles désirent connaître leur statut génétique.
Il faut compter au moins trois consultations. Lors des deux premières, on pourra faire pratiquer deux prélèvements sanguins nécessaires à la fiabilité de l'analyse (afin d'écarter tout risque d'erreur d'acheminement des tubes ou de manipulation au laboratoire), la troisième aura pour but la transmission des résultats.
Bien que la recherche soit dans ce cas réduit à quelques semaines, il est demandé un délai de réflexion d'au moins trois mois, ce délai étant modulable surtout en fonction de l'âge, la période étant d'autant plus allongée que la personne est jeune. Une consultation avec un psychologue est systématiquement proposée mais reste facultative, sauf dans les cas de personnes très jeunes. Chacune des consultations est demandée librement et volontairement par la personne, en aucun cas celle-ci ne peut être convoquée. Dès la première consultation, il lui est spécifié qu'elle peut interrompre la démarche à tout moment.
Le côut d'une première recherche dans une famille est évalué à 5 000F, celui d'une recherche chez un apparenté lorsque l'altération est connue est de 3 000F. Ces tests ne figurent pas à la Nomenclature de la Sécurité Sociale et leur côut est supporté par le budget des Hôpitaux.
Qui doit pratiquer le test ?
Les laboratoires qui peuvent pratiquer ces tests ainsi que les personnes aptes à "signer" les résultats d'examen des caractéristiques génétiques d'un individu ont reçu un agrément du Ministère de la Santé.Si l'on écarte les considérations budgétaires (coût élevé) et pratiques (problèmes de place), conseilleriez-vous à toutes les femmes de pratiquer ce test ?
Sûrement pas toutes les femmes.Les tests génétiques n'ont d'intérêt que s'ils sont interprétables en terme d'appréciation du risque. Aujourd'hui, on est capable de le dire seulement dans les cas où l'hérédité est évidente.
L'IGR a récemment rejoint l'Institut Curie et d'autres organismes pour déposer une opposition au brevet des laboratoires Myriad afin d'empêcher les abus d'un monopole sur cest tests qui
Les ministères français de la santé et de la recherche ainsi que le Parlement européen soutiennent la démarche d'opposition à ce brevet engagée par l'Institut Curie, l'IGR et l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Si l'on peut penser que l'accès au test pour tous pourrait trouver une solution, en revanche, le manque d'ouverture contraire à tout esprit scientifique freinerait considérablement la recherche et au bout du compte serait dommageable aux patients.
Consulter le communiqué de presse d'opposition conjointe au brevet Myriad déposé conjoitement par l'Institut Curie, l'Institut Gustave Roussy et L'assistance Publique Hôpitaux de Paris
Interview réalisée par Karine Sabatier
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